La gamme de Pythagore
La fabuleuse histoire des notes de musique
Voyons comment il a ensuite combiné ces différents rapports entre eux pour obtenir une gamme complète à 7 notes comme nous la connaissons (Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si).
Gamme diatonique
La gamme de Pythagore utilise la quinte de proche en proche pour définir les fréquences des notes. Cela signifie que l'on part de la fréquence d'une note fondamentale que l'on multiplie par 3/2, la quinte.Comme vu précédemment, le fait de multiplier par 3/2 va parfois faire sortir la note de notre intervalle [1;2]. On "normalisera" alors cette note en la divisant autant de fois que nécessaire par 2 pour la ramener dans note octave [1;2]. Cette technique devrait maintenant vous paraitre naturelle.
Appliquons donc cet écart de quinte de proche en proche à notre note de référence de fréquence 1 :
On comprend vite le fonctionnement, et quelques connaissances en mathématiques permettent aisément d'en tirer la formule générale. Cette série arithmétique nous fournie une infinité de notes dont les 25 premières sont présentées dans le tableau ci-dessous :
k | n | |||
---|---|---|---|---|
0 | 1,0000 | 0 | 1 | 1,0000 |
1 | 1,5000 | 0 | 1 | 1,5000 |
2 | 2,2500 | 1 | 2 | 1,1250 |
3 | 3,3750 | 1 | 2 | 1,6875 |
4 | 5,0625 | 2 | 4 | 1,2656 |
5 | 7,5937 | 2 | 4 | 1,8984 |
6 | 11,391 | 3 | 8 | 1,4238 |
7 | 17,086 | 4 | 16 | 1,0679 |
8 | 25,629 | 4 | 16 | 1,6018 |
9 | 38,443 | 5 | 32 | 1,2014 |
10 | 57,665 | 5 | 32 | 1,8020 |
11 | 86,498 | 6 | 64 | 1,3515 |
12 | 129,75 | 7 | 128 | 1,0136 |
13 | 194,62 | 7 | 128 | 1,5205 |
14 | 291,93 | 8 | 256 | 1,1403 |
15 | 437,89 | 8 | 256 | 1,7105 |
16 | 656,84 | 9 | 512 | 1,2829 |
17 | 985,26 | 9 | 512 | 1,9243 |
18 | 1477,9 | 10 | 1024 | 1,4433 |
19 | 2216,8 | 11 | 2048 | 1,0824 |
20 | 3325,3 | 11 | 2048 | 1,6237 |
21 | 4987,9 | 12 | 4096 | 1,2177 |
22 | 7481,8 | 12 | 4096 | 1,8266 |
23 | 11223 | 13 | 8192 | 1,3700 |
24 | 16834 | 14 | 16384 | 1,0275 |
25 | 25251 | 14 | 16384 | 1,5412 |
Toutes ces notes ont été normalisées pour se situer dans la même octave, et toutes ces notes vont bien ensemble puisqu'elles respectent l'écart de quinte si naturel.
Mais une infinité de note, c'est beaucoup trop ! Il faut donc se restreindre.
Le fait que 7 astres - hormis les étoiles - étaient connus à l'époque aurait été fortement lié au choix des Pythagoriciens de s’en tenir à 7 notes, et en annonçant que ces astres émettent des sons en se déplaçant, naissait une théorie, "l'Harmonie des Sphères", futur carrefour de la religion, de l'astronomie, de la musique et des mathématiques en Occident, et ce au moins jusqu’à la Renaissance.
Nous laisserons cependant de côté cette approche, et constaterons plutôt que la 7ème fraction obtenue est plus proche de 1 que toutes les précédentes : nous avons comme valeur de fréquence finale 1,0679 ! On peut considérer – en étant conscient que ce n’est pas tout à fait vrai - qu’on a quasiment bouclé la boucle !
Voici l’écoute des 7 notes correspondant aux 7 premières fractions :
La 4ème note peut heurter par rapport à nos habitudes (on peut considérer qu’il faut qu’elle soit plus grave). Cela vient du fait qu'elle n'a pas été conservée telle quelle (la valeur théorique était de 729/512) mais remplacée par 4/3 qui a une valeur très proche. Pythagore était en effet convaincu que la nature obéissait à des règles "simples" et que les fractions qui devaient régir la musique devaient l'être également.
On notera que cette fréquence de 4/3 n'est autre que la quarte que nous avions vu dans le chapitre précédent. Il aurait été dommage de ne pas la retrouver dans notre gamme. Si on lui applique à son tour une quinte, on arrive bien sur l'octave supérieure (4/3 x 3/2 = 2). Logique puisque nous avons vu précédemment que la quarte était le complémentaire de la quinte.
Nous avons alors (peut-être...) l’impression d’entendre une gamme "normale" :
Voici récapitulée notre fameuse gamme avec les valeurs exactes des fréquences sous forme de fractions et le nom des notes telles que nous les connaissons :
En terme d'intervalle entre les notes, nous observons aussi une certaine cohérence, puisqu'on remarque qu'il n'en existe que 2 : un intervalle valant 9/8 et un intervalle valant 256/243. Le premier définira le ton, le second le demi-ton :
Gamme chromatique
La gamme diatonique à 7 notes est parfaite, mais elle a tout de même une petite limitation : elle ne permet pas de transposer ! Elle fait en effet apparaitre des tons et des demi-tons. Si l'on transpose cette gamme en augmentant par exemple d'un demi-ton chaque notes, ces dernières ne vont pas toutes retomber (même approximativement) sur des notes existantes de la gamme. Le Mi va bien se retrouver sur le Fa et le Si sur le Do, mais les autres arriveront "entre deux notes".La solution est de rajouter une note dans chaque intervalle d'un ton afin de le séparer en deux demi-ton... C'est ce que propose la gamme chromatique qui sera donc composée de 12 notes.
Gamme chromatique ascendante
Pour construire la gamme chromatique, on continue de dérouler notre série mathématique, et on constate que la prochaine fois que l'on "boucle presque la boucle" (c'est à dire qu'on arrive presque de nouveau sur une fréquence valant 1) c'est lorsque k=12. La fréquence de la note est alors de 1.0136 (cf tableau au dessus)Les 6 notes supplémentaires obtenues seront les notes altérées en #, et l'ensemble des 12 notes obtenues nous donnent une gamme chromatique, appelée ascendante car basée sur les quintes ascendantes.
(On pourra noter que la faction 729/512 supprimée tout à l'heure dans la gamme diatonique réapparait pour devenir le Fa#)
Gamme chromatique descendante
Tout comme nous avons calculé notre gamme à partir des quintes ascendantes, nous pourrions appliquer les même principes avec les quintes descendantes. C'est à dire en cherchant les quintes précédentes de proche en proche au lieu de prendre les quintes suivantes.Pour ce faire, il faudra diviser (au lieu de multiplier) par 3/2. Cela revient donc à multiplier par 2/3. La série sera la suivante :
2/3 ; 4/9 ; 8/27 ; 16/81 ; etc... jusqu'à 4096/531441 pour la 12ème itération.
Cette série devra ensuite être normalisée afin de ramener toutes les valeurs dans l'intervalle [1;2]
Nous obtenons ainsi une autre gamme chromatique, appelée descendante car basée sur les quintes descendantes. Les notes ainsi formées correspondent aux bémols.
Gamme à 25 notes
L'association des gammes chromatiques ascendante et descendante nous donne une gamme à 25 notes réparties comme suit :Mais 25 notes, c'est beaucoup trop. A commencer parce qu'un instrument à note fixe comme le piano ou la flûte seraient trop compliqués à jouer. On décide donc de faire des choix pour réduire cette gamme à 12 notes.
Gamme à 12 notes
Pour ce faire, on supprime les notes altérées proches des notes naturelles et on ne retient qu'une altération dans chaque intervalle de ton.Le choix habituel d'altérations de la gamme de Pythagore à 12 notes est le suivant :
Do ; Do# ; Ré ; Mi♭ ; Mi ; Fa ; Fa# ; Sol ; Sol# ; La ; Si♭ ; Si ; Do
Cette gamme de Pythagore, aussi appelée gamme naturelle, a été utilisée de l’Antiquité jusqu’au XVIè siècle !
La quinte du loup
Nous l'avons vu, la série des quintes utilisée ne permet pas de faire une boucle complète pour retomber exactement sur l'octave. Il y a un petit intervalle en trop qui traine.De cet fait, il y aura donc forcément une quinte mal dimensionnée ! Cet intervalle (qui sonne donc légèrement faux) a été baptisé quinte du loup, car il semble "hurler" (à la manière d'un loup) lorsqu'on l'utilise. Et d'ailleurs pour cette raison, on ne l’utilise pas !
Dans la gamme chromatique à 12 notes c'est la quinte Sol#/Mi♭ qui s'est retrouvée fausse, en raison des simplifications relativement arbitraires lors du passage de 25 à 12 notes. D'autres choix auraient pu permettre de rendre cette quinte juste, mais cela n'aurait fait que déplacer le problème car c'est alors une autre quinte qui aurait été fausse.
Conclusion
En guise de synthèse de ce chapitre sur la gamme de Pythagore, voici un graphique très complet qui résume la construction de la gamme chromatique à 25 notes (et donc de toutes les autres gammes que nous avons vu ici).Il est suivi d'un second graphique simplifié qui résume la construction de la gamme chromatique à 12 notes (on y voit clairement quelles notes ont été construites à partir des quintes ascendantes ou descendantes).