Page thématique | LA PHILOSOPHIE GRECQUE |
APERÇU DE LA PHILOSOPHIE GRECQUE DES ORIGINES À LA FIN DE LÉPOQUE CLASSIQUE Plan de la page : I) LES PRESOCRATIQUES 1) Orphée et Pythagore 2) Thalès de Milet 3) Héraclite dEphèse 4) Parménide et lécole Eléate : la philosophie de lEtre 5) Empédocle 6) Démocrite dAbdère III) LES PHILOSOPHES SOCRATIQUES 1) Socrate 2) Platon Létude de lhistoire de la pensée montre que dans leurs efforts pour comprendre et expliquer le monde, les civilisations ont toujours dabord élaboré des mythes. En Grèce comme ailleurs, tout a commencé par une cosmogonie de cet ordre et nul nignore la puissance et la vitalité de la mythologie grecque. Mais dès le VI° siècle avant J.C., émergent en Grèce, sur le terreau mythologique, des tentatives dexplication de lunivers essayant déliminer lintervention du « surnaturel » dans lénigme posée par lexistence du monde. Cest le début des disciplines scientifique et philosophique. Mais à cette époque là, elles étaient intimement liées, autant dire indifférenciées puisque les premiers philosophes se nommaient « physiciens », cest-à-dire scrutateurs de la nature, « phusis » chez les Grecs. Les découvertes scientifiques de cette époque font, pour la plupart dentre elles, toujours partie des fondements des sciences actuelles et cette recherche est aussi à lorigine de la philosophie au sens moderne du terme. Athènes deviendra vite le centre de cette nouvelle pensée et Socrate le pivot de son évolution. Par la suite, la philosophie romaine (particulièrement dans ses recherches sur la morale, le stoïcisme et lépicurisme) se réclamera héritière de la pensée grecque. I)
LES PRESOCRATIQUES 1) Orphée et Pythagore Le poète Orphée, personnage mythologique, et Pythagore, personnage historique ( 580-500 av.J.C.), partagent une croyance commune en limmortalité de lâme. Ces deux philosophies mystiques que sont lorphisme et le pythagorisme reposent sur des pratiques et des rites destinés à purifier lâme emprisonnée dans le corps pour laider dans sa vie future après la mort. Pour Pythagore, lâme revient dans un corps nouveau selon les vertus ou les vices de sa vie précédente. Le corps est donc une prison où lâme est enfermée pour des fautes antérieures : (sôma sêma : corps = tombe). Cest la croyance en la réincarnation ou métempsychose. Pour celui qui pratique la sagesse et respecte les rites, les réincarnations successives permettent peu à peu la purification de lâme, donc sa libération. Cette métaphysique est inséparable, comme toutes les philosophies présocratiques, dun système tentant une explication scientifique de lunivers. Cest cet aspect qui donne toute son importance à Pythagore. Il croit en effet à lharmonie des nombres, principes de tout, dont la combinaison permet lexplication de lunivers et de tout être existant : il est ainsi le lointain ancêtre de la science contemporaine et des applications actuelles dans le domaine du numérique. Ainsi « la réalité consiste en un jeu doppositions entre ce qui est déterminé (ou impair), source de perfection, et ce qui est indéterminé (ou pair), source dimperfection » (Précis de littérature gréco-latine, éditions Magnard), cependant le chiffre parfait est le chiffre 10, formant le « triangle mystique », triangle équilatéral, constitué de laddition des chiffres 4 (base du triangle), 3,2 et 1 (sommet du triangle). Pythagore serait linventeur du mot « philosophie » ( de « philos » : qui aime et « sophia » : la sagesse). 2) Thalès de Milet ( fin VII°- début VI° siècle av.J.C.) A partir de Thalès, les philosophes postérieurs à Pythagore inaugurent une conception « moderne » de la philosophie, sécartant de toute théogonie ou mysticisme pour privilégier des explications scientifiques. Ils sintéressent tous conjointement et en premier lieu aux différents domaines de la science ( mathématique, physique, astronomie). Parmi eux, Thalès, homme du début du VI° siècle, père de lastronomie et inventeur du fameux théorème, est le fleuron dune école de réflexion qui sest développée à Milet, en Ionie. Ces philosophes expliquent lunivers (« cosmos »), sa formation et tous les éléments qui le constituent , à partir dun élément unique et primordial : pour Thalès, cest leau ; un autre de ces philosophes, Anaximène, pense quil sagit de lair. Tous sefforcent de donner une explication logique et globale aux phénomènes multiples de lunivers. 3) Héraclite dEphèse (535- 475 av.J.C.) Sa pensée, extrêmement déroutante, allie un principe dynamique, le changement perpétuel, et la conviction que ce principe dynamique est créateur dune unité harmonieuse gouvernant lunivers, quil nomme «logos » (= « feu intelligent » ou « pensée unique et souveraine »). Héraclite est essentiellement resté célèbre pour sa théorie du changement perpétuel ( mobilité constante des choses) illustrée par la formule « panta rei » (« tout sécoule ») et par lidée qu « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », puisque ce nest jamais la même eau qui coule au même endroit. Cest là une prescience troublante de lagitation des atomes et des théories scientifiques modernes sur lévolution permanente de lunivers. 4) Parménide (fin VI°- début V° siècle av.J.C.) et lécole Eléate : la philosophie de lEtre L école de Parménide doit son nom à la ville natale de celui-ci, Elée, en Italie du Sud. A peu près contemporain dHéraclite, il soppose radicalement à lui par sa conception de lunivers fondée sur limmuable et lunité, philosophie quil a exprimée dans un long poème intitulé Sur la nature. Nos sens ne distinguent que les apparences et ce sont les apparences qui changent et paraissent multiples ; la réalité quelles recouvrent, cest-à-dire la substance des choses, elle, est immuable et éternelle. Parménide la nomme « lEtre », que seule la Raison peut appréhender et qui seul existe. Pour la Raison, le monde illusoire des apparences perçues par nos sens et marquées par le changement et le morcellement nexiste pas : cest le « Non Etre » ; en effet « changer cest précisément ne plus être ce quon était et devenir ce quon nétait pas encore » (R.Mucchielli : La Philosophie, Bordas). Cest le sens de sa formule la plus célèbre : « lEtre est, le Non Etre nest pas ». Ce qui différencie dautre part, ce système des autres systèmes de philosophes comme Thalès, cest que lunivers envisagé nest plus le simple univers physique, mais tout ce qui peut être appréhendé par lesprit. Cette pensée aura une influence sur des philosophes comme Platon ou Aristote qui ne cesseront de réfléchir à cette opposition entre lUnité essentielle de lunivers approchée par la Raison et la diversité morcelée perçue par les sens. Mais cest aussi la question toujours posée de lEtre et du Paraître. Son disciple Zénon dElée est surtout connu pour avoir exprimé sa pensée sous la forme de paradoxes comme celui dAchille essayant de rattraper une tortue. Achille peut-il la rattraper ? Le sens commun dit que oui ; la pensée démontre que non car lespace étant divisible à linfini, la distance se réduira progressivement mais ne sera jamais nulle, Achille ne rattrapera donc jamais la tortue.
Parmi
les philosophes proches de Parménide, on peut citer également un
philosophe ultérieur, Anaxagore de Clazomènes (490-428 av.J.C.) pour qui
il existe une opposition similaire entre le monde matériel et le principe
éternel qui gouverne le monde : le « Nous » (cest-à-dire
« esprit » ou « intelligence » en grec). Il
est intéressant de noter que, bien quoriginaire dIonie, Anaxagore
partit à Athènes vivre dans lentourage de Périclès, inaugurant un
mouvement qui pendant des siècles fera dAthènes le centre culturel et
philosophique du monde antique. 5) Empédocle ( vers 480-420 av.J.C.) Au lieu de rechercher un élément unique comme les philosophes précédents, Empédocle distingue quatre éléments primordiaux mais éternels :lair, leau, la terre et le feu qui se combinent ou se séparent sous linfluence de deux forces fondamentales : Philotès (lAmitié), qui réunit et Neikos (la Querelle), qui dissocie. « Et lunivers se fait et se défait selon une vaste alternance entre ces deux forces. Sous le règne de Philotès, lunivers tend à devenir lêtre sphérique et étroitement unifié de Parménide ; sous le règne de Neikos, il se disloque en un désordre qui rappelle le changement et la tension chers à Héraclite. » (J. de Romilly, Précis de littérature grecque, PUF). Pour Empédocle ces deux forces sont indispensables à lunivers. Sa philosophie sapparente par ailleurs aux théories orphiques et pythagoriciennes de la métempsychose. La tradition le représente comme un Maître spirituel, persuadé de détenir son savoir de ses différentes réincarnations. 6) Démocrite dAbdère (460-370 av.J.C.) Contemporain de Socrate quil a certainement rencontré à Athènes, Démocrite appartient cependant, par sa pensée, à la philosophie présocratique. Fondateur de la théorie de latomisme, il opère une synthèse entre la philosophie de Parménide fondée sur lEtre unique et immuable et celle dHéraclite fondée sur le perpétuel mouvement. Là aussi le modernisme de cette intuition de lexistence des atomes, à une époque où lidée même du microscope ne pouvait être conçue, est tout à fait étonnante ! En effet derrière la diversité des êtres, Démocrite voit des atomes tous identiques en nature, impérissables et toujours en mouvement. Les êtres et les choses ne sont que des combinaisons datomes et leur diversité sexplique par lexistence de leur contraire, le vide : « convention que le chaud, convention que le froid ; en réalité, les atomes et le vide » (Démocrite, édition Gallimard). La doctrine de latomisme sera illustrée un siècle plus tard par Epicure (341-270 av.J.C.). Présocratique certes par son système dexplication du monde, Démocrite se rapproche néanmoins de Socrate par son intérêt pour la morale. Les quelques fragments qui nous restent de ses traités déthique montrent quelle est pour lui limportance de la conscience du Bien et du Mal et présentent une résonance très socratique : « Cest devant soi-même que lon doit dabord avoir honte quand on agit mal ». « Celui qui commet linjustice est plus malheureux que celui qui la subit ». A partir de la seconde moitié du V° siècle avant J.C., le centralisme athénien saccentue avec larrivée des sophistes venus pour la plupart de Grande Grèce et qui tous séjournent à Athènes. Les deux principaux représentants en sont Protagoras, venu de Thrace (480-408) et Gorgias, de Sicile (487-380). La pensée philosophique nest plus fondée sur la construction de systèmes cosmogoniques, expliquant lunivers : les sophistes mettent lhomme au centre de leur réflexion. Ainsi Protagoras peut dire : « Lhomme est la mesure de toutes choses. », cest-à-dire que la connaissance et lexpérience du monde dépendent des individus et varient avec leur jugement. Donc la véritable connaissance des choses se révèle impossible. Il ne sagit pas pour eux de rechercher une vérité essentielle, mais ce qui peut en avoir lapparence par le raisonnement. Cette conception débouche sur un relativisme de pensée, dont un versant est lhumanisme et lautre le scepticisme Ce scepticisme conduisit les sophistes à explorer les rouages du raisonnement ; car si rien ne simpose comme vérité absolue, tout peut devenir vrai pour peu que lon soit capable de le démontrer et/ou den convaincre son interlocuteur. Donc ces philosophes sont avant tout professeurs de rhétorique : aux « physiciens » succèdent les « rhétoriciens ». Cest ainsi que les sophistes ont été amenés à approfondir la dialectique « inventée » par Zénon dElée, et qui est lart dargumenter pour démontrer, réfuter et persuader. Pour eux une cause nest forte que par la force convaincante des arguments qui létayent ; donc toute cause réputée forte, par exemple par le bon sens ou la coutume, peut devenir faible par la rhétorique et vice-versa . Mais lart du raisonnement nécessite une connaissance technique approfondie du langage. Or en grec ancien, tout savoir précis dans un domaine défini se nomme « sophia » (habituellement traduit par « sagesse »). Les sophistes tirent leur nom de ce terme car ils sont détenteurs dune « sophia » du langage. La science quils ont ainsi élaborée, la grammaire, ainsi que ses applications, la rhétorique et la dialectique, ont traversé les siècles en gardant les mêmes conceptions et les mêmes termes grâce à la tradition scolaire et universitaire. Il est reconnu dautre part que la rigueur scientifique de leur raisonnement est un des fondements de la conception moderne de lHistoire. Leur succès de lépoque sest articulé sur une nouvelle façon denvisager la vie politique à Athènes après la période de Périclès. En effet, leur enseignement fut recherché par les jeunes Athéniens désireux de faire une carrière politique et ressentant le besoin de maîtriser le langage et lart de la persuasion. Leur affirmation selon laquelle tout (et son contraire) est démontrable, le fait quils faisaient payer fort cher leur enseignement et lengouement des futurs hommes politiques ont suscité des craintes et des critiques quant à leur absence de morale, queux-mêmes souvent nont pas méritées mais que leur système portait en germe. De là vient la connotation péjorative de ce terme de « sophiste » aujourdhui encore. Cest précisément le reproche moral que leur font Socrate et Platon. III)
LES PHILOSOPHES SOCRATIQUES 1) Socrate (469-399 av.J.C.) On ne peut évoquer le personnage de Socrate sans le comparer aux sophistes, dont il fut le contemporain, sophistes avec lesquels lopinion de son époque lamalgama mais auxquels en réalité il ne cessa de sopposer. Nayant lui-même rien écrit, sa pensée et sa vie ne nous sont connues quà travers les uvres de trois auteurs. Dans sa comédie les Nuées, Aristophane le charge de tous les reproches que lon pouvait faire aux sophistes. Ancien élève de Socrate, Xénophon dans son Apologie de Socrate et surtout le Banquet nous présente un personnage certainement assez proche de la réalité historique. Il est au centre de luvre de Platon, son plus brillant disciple, qui reprend et prolonge la pensée de ce maître. A la différence des sophistes, Socrate est athénien et ne quittera jamais sa ville. Dextraction modeste son père est sculpteur et sa mère sage-femme -, il se tourne très vite vers la spéculation philosophique mais sans en tirer de rémunération, contrairement à ses rivaux. Il alliait en lui les contraires : la disgrâce et la négligence physiques et lexigence et la beauté morales. Exhortant ses concitoyens à rejeter linjustice, il a lui-même, au moins à deux reprises, refusé courageusement, voire au péril de sa vie, daccomplir, en tant que magistrat et citoyen, des ordres quil jugeait injustes. Comme les sophistes, Socrate se détourne de la recherche sur la construction de lUnivers, la jugeant inutile : son intérêt se porte sur le seul objet détude qui soit à la portée de lesprit humain : lhomme, cest-à-dire la nature humaine en général et lêtre humain en particulier. Cest le sens quil donne à la célèbre formule de Delphes quil a faite sienne : « Connais-toi toi-même ». Mais cette seule formule contient aussi une autre signification : se connaître soi-même signifie aussi savoir discerner ce qui est bien de ce qui est mal, et cest en cela que Socrate soppose aux sophistes, puisque sa recherche a pour but exclusif le domaine moral et quil sattache surtout à définir des grandes notions morales comme la justice, la piété, le bien , le courage, la tyrannie, la tempérance, lamitié Cest en ce sens que lon peut parler de « révolution socratique ». Xénophon nous présente Socrate comme un homme pieux ; Platon, un personnage plus complexe dont la conception de la religion est probablement plus abstraite que celle de la plupart de ses contemporains mais qui se réclame tout de même des dieux traditionnels, notamment Apollon. Sa méthode dinvestigation est celle dun incessant questionneur, passant au crible de linterrogation toutes les habitudes de pensée ; mettant ainsi son interlocuteur face à ses contradictions et ses limites et lui montrant que la vraie sagesse consiste à reconnaître dans un premier temps son ignorance (« Je ne sais quune seule chose, cest que je ne sais rien ») pour se rendre capable ensuite de sacheminer vers la difficile découverte de la vérité que chacun a en soi sans le savoir. Cest la « maïeutique », « art daccoucher les esprits ». Cette méthode très déstabilisante et qui, comme celle des sophistes, remettait en question les habitudes de pensée traditionnelles, lui valut des ennemis, dautant plus quelle séduisait la fleur de la jeunesse athénienne. Socrate passe pour un subversif. Ceci explique la plainte déposée contre lui et qui le mena à la mort en 399. On retint contre lui deux chefs daccusation : corrompre la jeunesse et ne pas croire aux dieux de la cité. Il faut replacer son procès dans le contexte troublé de la défaite dAthènes contre Sparte à la fin de la guerre du Péloponnèse et du difficile rétablissement de la démocratie après le gouvernement oligarchique des Trente dont le représentant le plus extrémiste, Critias, se trouvait, par malheur, être un ancien ami de Socrate et un penseur sophiste. Cest à cette occasion que Socrate montra une parfaite cohérence entre ses idées et ses actes et que son personnage acquit cette dimension prodigieuse qui en fit, une fois pour toutes, le modèle du Sage dans la cité. En effet ayant refusé de choisir lui-même une condamnation même légère pour ne pas reconnaître sa culpabilité et ainsi renier ses idées, il exaspéra les jurés et fut condamné à la peine la plus lourde. Malgré les incitations de ses amis et de nombreuses complicités influentes dans la cité et dans la prison, par fidélité aux lois dAthènes, et pour montrer que nayant rien commis de mal, il ne craignait pas la mort, il refusa de senfuir et but la ciguë en présence de ses disciples. « Socrate : « On peut du moins et lon doit même prier les dieux pour quils favorisent le passage de ce monde à lautre ; cest ce que je leur demande moi-même : puissent-ils mexaucer ! » Tout en disant cela, il porta la coupe à ses lèvres, et il la vida jusquà la dernière goutte avec une aisance et un calme parfait. » (Platon, Phédon)
Ce
philosophe de la parole, dernier du V° siècle, aura une influence féconde
et durable sur tous les philosophes du IV° siècle, siècle de grand
foisonnement intellectuel. 2) Platon (427-347 av.J.C.) a) La vie et les uvres principales Fils de famille hautement aristocratique, Platon était davantage promis à une carrière politique quà la recherche philosophique. Ce fut la rencontre avec Socrate, lors de sa vingtième année, qui, semble-t-il, décida définitivement de lorientation de sa vie. Grande figure philosophique, avec Aristote, du IV° siècle, Platon est un théoricien, contrairement à son admirable maître. Peut-être suspect comme disciple de Socrate quil avait suivi pendant huit ans, en tout cas bouleversé par sa mort, il quitta Athènes en 395 et ny revint quen 387 pour y fonder dans le jardin de lAcadémie une école où en même temps que la philosophie étaient enseignées les disciplines fondamentales, dont la mathématique. Il y poursuivit son enseignement toute sa vie, avec de rares interruptions, infructueuses, pour essayer de concrétiser sa grande idée politique de la cité idéale gouvernée par les philosophes. Son uvre se compose de 35 dialogues dont la plupart mettent en scène le personnage de Socrate : les premiers dialogues : lApologie de Socrate, Protagoras, Gorgias ; les trois grands dialogues philosophiques : Phédon, le Banquet, Phèdre ; les dialogues politiques : la République et les Lois. b) Analyse de sa méthode à travers ses premiers dialogues Dans les premiers dialogues, la pensée de Platon ne semble pas se démarquer de celle de son maître et ceux-ci donnent loccasion de préciser la méthode socratique. Cest le souci de respecter cette méthode qui semble imposer à Platon la forme du dialogue. Le dialogue nest pas une ornementation littéraire, mais il est nécessaire à la recherche de la Vérité : Socrate naccepte comme recevable quune idée obtenue à lissue dun processus dialectique serré ( il ne faut pas oublier que le mot « dialectique » est formé sur le radical du verbe « dialegomai » qui signifie « sentretenir avec quelquun », « dialoguer »). La forme du dialogue permet, grâce à la succession des questions et des réponses, déliminer, par touches successives les approximations de la pensée et daboutir par lusage de la Raison à la définition dIdées générales comme le Bien, la justice, la tyrannie, la tempérance Ces idées générales ou « concepts » sont seules capables de hisser lesprit humain au-dessus des simples « opinions », multiples ou irréfléchies et souvent infondées car issues de nos sens particuliers et non de la Raison universelle. Cette théorie du concept (par exemple le concept de la Justice étant la quintessence de tous les traits communs à toutes les actions justes particulières) qui nous semble aujourdhui aller de soi dans toute réflexion sur la connaissance est une création du Socrate de Platon ! Platon fait sienne la maïeutique de Socrate et dans cette démarche il nest pas facile de distinguer lapport de lun ou de lautre. La pensée se double dune qualité littéraire qui donne à tous les personnages une apparence de vie et un caractère bien individualisé. Ainsi la lecture de ces uvres ne manque pas de charme et de piquant. c) La Métaphysique dans le Phédon, le Banquet et le Phèdre Il faut entendre par « métaphysique » toute conception de ce qui est au delà de la perception physique du monde, cest-à-dire la perception par les sens : le monde visible. La métaphysique de Platon est fondée sur le dualisme, cest-à-dire sur la distinction entre lâme et le corps : lâme étant immortelle, alors que le corps est périssable. « Lâme désincarnée ne retourne pas au séjour divin après une seule vie. Comme lenseignait Pythagore, les âmes vivent plusieurs existences successives et sincarnent dans différents corps. Or, dans les temps qui ont précédé leur vie actuelle, et tandis quelles étaient affranchies de toute enveloppe corporelle, elles ont contemplé les vérités éternelles. Réincarnées, elles en conservent une conscience obscure, un souvenir estompé, mais qui peut, sous leffet dune attention active, reprendre ses couleurs. On comprend dès lors lefficacité de la maïeutique : elle a pour objet, précisément, de provoquer cette attention à soi-même, ou plutôt aux vérités qui dorment dans lesprit. La science nest quune réminiscence : rien de nouveau nest introduit dans lâme, mais des souvenirs antérieurs à son incarnation se réveillent. » (Histoire illustrée de la littérature grecque, J. Humbert et H. Berguin, éditions Didier). Ces vérités parfaites et éternelles que lâme a contemplées, Platon les nomme « Eidê », les Formes, cest-à-dire les Idées : le monde invisible et uniquement intelligible. Pour illustrer ce concept, Platon a recours, cette fois-ci dans la République, livre VII , au mythe de la Caverne : « Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute la largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte quils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient dun feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux. » (Platon, la République, VII ,512 a) Sur la paroi vers laquelle leurs yeux sont tournés, ils ne voient que les ombres portées dobjets extérieurs à la caverne et quils prennent pour la réalité. Les hommes sont comme ces prisonniers : ils pensent que ce quils perçoivent autour deux est la réalité, alors quil sagit seulement du reflet du monde des Idées. Mais comme tous ces hommes ont en eux une âme qui a vu les Idées avant dêtre incarnée, il est possible que certains dentre eux, notamment les philosophes, en aient un souvenir confus . Le travail de la maïeutique consiste à faire remonter à la conscience le souvenir de ces Idées, donc la connaissance de la Réalité vraie, permanente et immuable. Cette Réalité invisible est constituée de tous les modèles uniques et parfaits engendrant les multiples copies imparfaites du monde sensible (par exemple, tous les chevaux concrets avec leurs imperfections sont des reflets de l'Idée parfaite de cheval). Dans le mythe de la Caverne, celle-ci est la métaphore du monde et de la société tandis que les prisonniers représentent lhumanité ordinaire. Le philosophe est représenté par un prisonnier qui se serait détaché de ses liens pour sortir de la caverne et aurait contemplé les objets réels et non plus leur ombre, saccoutumant peu à peu à une lumière croissante pour en arriver à être capable de contempler la source originelle de cette lumière qui gouverne ainsi toutes les choses sensibles : le soleil, assimilé au Bien suprême, source de la sagesse, « gouvernant toutes les autres Idées, cause universelle de tout rectitude et de toute beauté. » (la République, VII) Un tel homme, revenant dans la caverne, ne peut quapparaître étrange et insensé à ses anciens compagnons. Il ne peut que susciter leur incompréhension ou le désir de léliminer. Platon a-t-il volontairement assimilé le destin du « prisonnier libéré » du mythe, symbolisant le philosophe, à celui de Socrate ? d) La Politique à travers la République et les Lois La recherche du Bien ne peut se limiter à lindividu, mais elle doit aussi sappliquer au gouvernement de la Cité. La construction de la Cité idéale selon Platon est lobjet de son ouvrage intitulé la République. De même que lâme est divisée en trois parties (la raison, la volonté agissante et le désir), de même la Cité est partagée en trois fonctions correspondantes assumées respectivement par les philosophes ou gouvernants, les guerriers ou gardiens et tous les dispensateurs des biens matériels. Le gouvernement échoit au philosophe, sorti de la caverne et renonçant ensuite à la contemplation des Idées pour revenir de son plein gré dans la caverne et enseigner aux autres la Justice. Dans cet Etat, lindividu est subordonné à la collectivité et chacun remplit sa fonction selon ses compétences dans une complémentarité qui permet le fonctionnement. En effet Platon supprime la propriété individuelle, le lien familial et la distinction entre les sexes. Cette organisation pourrait faire penser à une société communautaire, mais elle repose sur une hiérarchie stricte fondée non pas sur une aristocratie de la naissance mais sur une aristocratie de lintelligence. Dans son dernier ouvrage, les Lois, Platon sécarte de la Cité idéale pour définir les conditions possibles dapplication de ses théories dans la réalité. Le projet est donc moins ambitieux mais lauteur imagine toute une série de règlements contraignants destinés à empêcher toute corruption. Laccumulation de ces règlements donne limage dun régime plutôt totalitaire. Faut-il voir dans cette absence de liberté les conséquences des déceptions causées par les actions injustes de la démocratie athénienne, qui, par son essence, aurait dû garantir la liberté ? La Cité idéale de Platon est la première utopie politique dans lhistoire des sociétés occidentales . Pour la première fois, un philosophe propose un mode dorganisation jugé idéal. IV) ARISTOTE (384-322 av.J.C.) 1) Sa vie et son uvre Aristote naquit en Thrace en 384. Son père était le médecin de Philippe, roi de Macédoine. Cest peut-être lui qui lui donna le goût pour les sciences concrètes. Mais cest à Athènes quil vint parfaire son éducation en suivant pendant vingt ans lenseignement de Platon. Il devient un de ses élèves préférés et montra un goût profond pour lacquisition de vastes connaissances, à tel point que Platon le surnommait « le liseur » et lui confia plus tard lenseignement de la rhétorique. Aristote fut profondément influencé par la philosophie de Platon et son système se définit par rapport à celui de Platon, y compris dans ses oppositions, car les deux hommes avaient des tempéraments et des démarches opposés. A la mort de Platon, Aristote quitta Athènes pour se fixer à Amos comme conseiller du prince des lieux. Il fut ensuite appelé à la cour de Macédoine pour devenir le précepteur du jeune prince, le futur Alexandre le Grand. Sous la protection du roi Philippe, il y constitua le plus grand laboratoire de lAntiquité, étudiant et classant la faune et la flore dans un esprit encyclopédique. En 335, il revint à Athènes, récemment soumise par la Macédoine, pour fonder son école, le Lycée, du nom dun quartier de la ville. Comme il enseignait en se promenant, ses élèves furent appelés péripatéticiens ( de « péripatos » : promenade). A la mort dAlexandre, en 323, il dut quitter Athènes pour fuir des réactions fortement antimacédoniennes. Peu de temps après, il mourut à Chalcis, en Eubée. Son uvre était importante, mais les traités destinés à la publication sont perdus ; il ne nous reste que les notes de cours et les exposés à usage interne. Cela explique la difficulté pour connaître luvre véritable dAristote. La cheville ouvrière de la transmission de son uvre fut Cicéron qui, plus deux siècles après, rassembla ses uvres et les publia. Platon, essentiellement tourné vers la morale, fut un théoricien ; Aristote, de tempérament pragmatique, essaya de classer et de décrire rigoureusement tous les champs de la connaissance, inaugurant ainsi la démarche encyclopédique. Sil est philosophe, il est aussi lErudit, le Savant. Chose nouvelle dans lhistoire des connaissances, il distingue nettement les différentes sciences jusque là confondues dans la philosophie. 2) Sa Métaphysique Aristote soppose nettement à Platon en affirmant la réalité du monde concret qui nétait pour Platon quun monde de reflets (le vrai monde étant celui des Idées). Cette partie de la pensée dAristote est assez difficile à cerner dans ses détails. Pour lui le corps est la matière comme le matériau dune statue est une « statue en puissance » -- et lâme est la forme donnée au corps (eidos) -- comme la statue terminée est une « statue en acte ». Cette position de départ éclaire sa démarche dans tous les autres domaines, fondée sur lobservation, la description et le classement raisonné. 3) Le champ de la morale et de la politique Son traité de morale le plus important est lEthique à Nicomaque. Aristote laborde par une série de descriptions des murs aboutissant à des définitions et un classement réfléchi. Dans la définition des différentes vertus, Aristote, contrairement à Platon, sintéresse aussi aux vertus sociales -- comme lamabilité prenant bien davantage compte des contingences concrètes . Comme Montaigne plus tard, sa préoccupation pour définir les vertus semble être le juste milieu, la difficile voie moyenne, entre lexcès et le manque, évitant de tomber dans lun ou lautre de ces vices opposés : ainsi dans le livre II de lEthique à Nicomaque, le courage est défini à mi-chemin entre la témérité et la lâcheté. Dans son uvre politique, seuls nous restent les huit livres de la Politique ; toute la documentation préalable et les autres ouvrages sont perdus. Pour Aristote, lhomme étant un animal politique, lidée même de Cité va de soi. Elle correspond à un besoin naturel de lhomme. Il critique la cité idéale de Platon, car selon lui la propriété et laffection des individus les uns pour les autres sont les éléments nécessaires au bon fonctionnement de la Cité. Il distingue trois types de gouvernement :la monarchie, laristocratie, la république, qui, lorsque lintérêt particulier prend le pas sur lintérêt général, se muent en leurs correspondants corrompus, respectivement : la tyrannie, loligarchie, la démocratie. La répartition des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire peut se combiner, dans chaque type de gouvernement, de manière différente. Le meilleur régime est, en politique aussi, celui qui emprunte la voie du juste milieu : sa constitution idéale est un mélange réaliste de démocratie et daristocratie. Là aussi, il soppose à lidéalisme platonicien. 4) Les sciences Fidèle à son tempérament, Aristote sest surtout intéressé à lhistoire naturelle et à la biologie. Il na cessé de mener des enquêtes avec ses disciples, observant les phénomènes naturels là aussi dans une perspective de classement. Les quelques titres qui nous sont parvenus en disent long sur léclectisme de ses recherches, dont les conclusions sont, certes, aujourdhui dépassées, mais dont la démarche, innovante à cette époque, est fondatrice de bien des disciplines actuelles : « Du ciel », « Des météores », « Des crues du Nil » ; « Histoire des animaux », « Des parties des animaux » ; « Sur les couleurs », « Sur les plantes », et bien dautres. 5) Rhétorique et littérature Ses traités de rhétorique et de poétique sont fondés eux aussi sur lobservation et le classement rigoureux des mécanismes et des ressorts du raisonnement (pour la rhétorique) et des genres littéraires (pour la poétique). Dans ces domaines son influence fut profonde. Il a ainsi forgé les outils encore actuels de la critique littéraire et de lanalyse des discours. Ainsi, cest de lui que viennent les règles de la vraisemblance et de lunité daction sur lesquelles repose la grande tragédie classique du XVII° siècle. Ce qui est frappant chez Aristote, cest lalliance dune diversité encyclopédique des savoirs et dune unicité de la méthode appliquée dans tous ces savoirs, et cela constamment nourri dun intérêt profond et sincère pour tout ce qui a trait à lhumain. La
philosophie des Grecs ne sarrête évidemment pas avec Aristote, mais
les philosophes étudiés autour de la figure de Socrate demeurent les
fondateurs de la pensée occidentale. |
Pour retrouver la page d'où vous venez, utilisez la flèche "précédente" sur la barre d'outil du navigateur.